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Avec 25 journalistes détenus et 72 interpellations depuis la mort de Mahsa Amini, l’Iran fait partie des pays les plus répressifs du monde en matière de liberté de la presse, selon un rapport de Reporters sans frontières diffusé mercredi, qui le classe 177e sur 180. La plupart des journalistes en prison sont des femmes. Le cas des deux reporters ayant couvert la mort de la jeune kurde inquiète plus particulièrement.

Deux parents abattus s’enlacent dans le couloir vide d’un hôpital de Kasra à Téhéran. Ils viennent d’apprendre la mort de leur fille, Mahsa Amini, 22 ans, décédée trois jours après son arrestation par la police des mœurs pour un voile « mal porté ».

C’est pour avoir capturé ce silence dans une photographie et pour l’avoir rendu publique, que la journaliste Niloofar Hamedi est détenue depuis plus de 7 mois par les autorités iraniennes. La correspondante du quotidien réformateur Shargh est la première à avoir annoncé la mort de la jeune kurde, le 16 septembre 2022, en postant le cliché sur Twitter. Un post qui va soulever un vent de contestation inédit auprès de la population iranienne et engendrer une série de manifestations contre le pouvoir plusieurs mois durant en Iran.

What landed Niloofar in solitary confinement was this heartbreaking photo of Mahsa Zhina Amini’s parents hugging in the hallway of the hospital.

Interpellée chez elle par des agents du renseignement trois jours après la publication, le 20 septembre, la journaliste de 31 ans est toujours derrière les barreaux, « sans qu’aucun procès n’ait eu lieu », relève Reporters sans frontières (RSF), qui a publié, mercredi 3 mai, un rapport sur la liberté de la presse. Elle vient tout juste d’apprendre les charges qui pèsent contre elle : le pouvoir judiciaire iranien a annoncé, le 26 avril, qu’elle était accusée de « collaboration avec les États-Unis », d’atteinte à la sécurité nationale et de « propagande contre le système ».

À ses côtés dans la prison de Qarchak, au sud de Téhéran, la journaliste Elahe Mohammadi, 35 ans, est sous le coup des mêmes accusations. Rédactrice pour le quotidien réformateur Hammihan, elle avait été arrêtée le 29 septembre, quelques jours après Niloofar Hamedi, pour s’être rendue dans la ville natale de Mahsa Amini, à Saqez, dans le Kurdistan iranien, où elle couvrait les funérailles de la jeune femme, qui ont donné lieu aux premières manifestations suivant sa mort.

#Iran: après 7 mois de détention, Niloofar Hamedi & Elahe Mohammadi ont été informées des charges pesant contre elles: « collaboration », « complot & rébellion contre la sécurité nationale », « propagande ». RSF dénonce des accusations grotesques & exige la liberation des journalistes.

Emblèmes du mouvement « Femme, vie, liberté »
Dénonçant des « accusations grotesques », RSF exige la libération des deux journalistes. En Iran, les charges d’espionnage sont passibles de la peine de mort. Et le cas de Niloofar et d’Elahe inquiète particulièrement : « Toutes deux sont devenues emblématiques de la répression de la liberté de la presse en Iran, mais aussi du mouvement [Femme, vie, liberté].

Ce sont des journalistes et des femmes. Donc elles sont des symboles à plusieurs niveaux. C’est pour cette raison que le gouvernement iranien les traite avec beaucoup plus de sévérité », affirme Jonathan Dagher, responsable du bureau Moyen-Orient de RSF. « L’Iran a tendance à sanctionner de manière plus forte les journalistes qui sont les premiers à dévoiler des informations, pour les punir et en faire un exemple pour les autres femmes et pour les autres journalistes », ajoute-t-il.

Neuf autres femmes journalistes sont détenues par les autorités, dont huit qui ont été interpellées depuis le soulèvement qui a suivi la mort de Mahsa Amini. « C’est sans précédent dans le pays et l’un des chiffres les plus élevés au monde », relève Jonathan Dagher, constatant un acharnement contre les femmes journalistes « parce qu’elles jouent un rôle important dans la couverture de ce mouvement, notamment pour porter la parole des femmes qui sont en première place de la contestation ».

Au total, précise RSF, 72 journalistes ont été arrêtés depuis le 16 septembre, 25 restent derrière les barreaux à ce jour, ce qui fait de la République islamique d’Iran le septième pays au monde à détenir le plus de journalistes après la Chine, la Birmanie, le Vietnam, la Turquie, la Syrie et la Biélorussie.

Libérés mais sous pression
Mais pour les journalistes relâchés, « la libération peut devenir une menace en elle-même, avec des peines qui agissent comme des épées de Damoclès au-dessus de leur tête », explique Jonathan Dagher.

C’est le cas d’une autre femme journaliste à avoir enquêté sur la mort de Mahsa Amini, Nazila Maroofian. Elle a été condamnée sans procès à deux ans de prison avec sursis pour “propagande contre le régime” et “propagation de fausses nouvelles” après avoir passé 71 jours en prison. Originaire de la même ville que la jeune kurde, Nazila Maroofian est ciblée par les autorités iraniennes pour avoir publié une interview du père de Mahsa Amini sur le site d’information Mostaghel Online.

D’autres ont été libérés contre la signature d’aveux, de « déclarations de remords » ou d’engagements comme la promesse de ne plus couvrir certaines manifestations ou certains sujets, rapporte RSF. Parmi ces journalistes, Ali Pourtabatabaei, travaillant pour un site d’information local de Qom, a été le premier à révéler les cas d’intoxication de jeunes filles par un gaz inconnu dans les écoles de sa ville en novembre 2022.

Il a été arrêté le 5 mars, en pleine polémique sur cette vague d’empoisonnements toujours en cours dans le pays. Après plusieurs semaines de détention, « le jour de sa libération, le gouvernement a demandé aux journalistes de ne pas couvrir cette histoire parce qu’elle perturbe l’opinion publique, exigeant qu’ils ne se basent que sur les sources officielles pour toutes ces informations », relate Jonathan Dagher.

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Dans ces conditions, nombre de journalistes iraniens sont poussés à fuir le pays. Pour gérer cet afflux et aider ces personnes, RSF a dû monter une cellule de crise. Plusieurs se sont installés en France, d’autres au Canada, aux États-Unis et en Turquie. Mais là encore ils ne sont pas à l’abri des intimidations. « Leur famille continue de subir des pressions en Iran », rapporte RSF, qui a recueilli plusieurs témoignages. D’autres ont été informés par des services de renseignement étrangers qu’ils étaient des cibles potentielles d’enlèvement. Il leur a été vivement recommandé de ne pas se rendre dans les pays frontaliers de l’Iran, comme la Turquie.
France 24

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