Les circonstances précises de la mort présumée du patron de Wagner, Evguéni Prigojine, restaient à définir jeudi mais une forte conviction l’emportait chez les experts : elle sonne comme une vengeance du président Vladimir Poutine.
Les réseaux sociaux russes, proches de l’opposition ou ceux liés à ce groupe paramilitaire, convergeaient vers les premières analyses des groupes de réflexion occidentaux : la vie de l’incontrôlable mercenaire ne tenait qu’à un fil depuis sa brève mutinerie, en juin.
“Peu importe les raisons du crash de l’avion, tout le monde y verra un acte de vengeance et de représailles et le Kremlin ne contredira pas particulièrement cette vision des choses”, affirmait dès mercredi soir Tatiana Stanovaya, la fondatrice du cabinet de conseil R. Politik.
Aucune piste n’était jeudi matin privilégiée par les autorités russes. Coup de projecteur sur un faisceau de présomptions têtues et une foule de questions.
Les causes du crash
Une enquête a été ouverte pour infraction aux règles de la sécurité aérienne. Des agents du Comité d’enquête, un puissant organe d’investigations, étaient déjà sur place moins de 24 heures après la chute de l’avion.
Mais ni le Kremlin ni le ministère de la Défense ne se sont exprimés.
Wagner n’a plus de compte officiel depuis le 26 juin et la dernière publication d’un audio de Prigojine. Mais les comptes proches de ce groupe évoquent la piste d’un tir de missile(s) sol-air S-300, une allégation à ce jour non démontrée.
L’hypothèse a été avancée dans les minutes qui ont suivi l’information sur le crash. Le compte Grey_Zone évoquait dès mercredi soir des “traces blanches caractéristiques de la défense antiaérienne dans le ciel” sur une vidéo d’amateur présentée comme celle montrant l’avion en train de s’écraser, qui n’a pu être formellement vérifiée par l’AFP.
Sur d’autres images, tout aussi invérifiables, on pouvait voir la chute en spirale d’un appareil décrit comme étant l’Embraer 135 dans lequel se trouvait Prigojine.
Même la patronne du groupe médiatique RT, Margarita Simonian, a semblé privilégier la piste de l’assassinat, tordant le cou à une rumeur selon laquelle le mercenaire le plus connu de la planète a voulu orchestrer sa fausse disparition.
“Parmi les pistes débattues, celle de la mise en scène. Personnellement, moi je penche vers (la piste) la plus évidente”, a-t-elle écrit.
Les autres victimes
Dix personnes se trouvaient dans l’avion qui s’est écrasé dans la région de Tver, au nord de Moscou, selon une liste officielle. Toutes “sont mortes”, a déclaré le ministère des Situations d’urgence.
Dossier, le site appartenant à l’opposant russe et homme d’affaires en exil Mikhaïl Khodorkovski, a publié une brève biographie des défunts.
Dmitri Outkine, l’impressionnant bras droit de Prigogine au sein de Wagner, avec son crâne nu et carré et ses épaules de déménageur, connu pour ses sympathies néonazies, figure parmi eux.
“C’est lui qui était responsable du commandement et de la formation au combat”, affirme Dossier. Il “signait les ordres avec +sieg+ et Prigogine était appelé +Heil Petrovitch+”.
Un autre passager, Valéry Chekalov était l’un des directeurs de Concord, la société fondée par Prigojine, et travaillait avec lui depuis les années 2000.
Il supervisait tous les projets civils de Prigojine à l’étranger, “qu’il s’agisse de prospection géologique, de production pétrolière ou d’agriculture”, ainsi que la logistique de Wagner, assure Dossier.
L’envahissante présomption
La colère froide de Poutine au moment de la mutinerie de Wagner, ses antécédents en termes d’élimination d’opposants, le durcissement du régime depuis le début de l’invasion de l’Ukraine : les observateurs rivalisaient d’arguments pour accuser le maître du Kremlin.
“Si la Russie avait été un État normal, sa mutinerie aurait conduit à un procès (…). Quoiqu’on pense de Prigojine, il est déraisonnable de tuer quelqu’un sans procès, surtout quand il ne se cache pas”, a posté Mikhaïl Khodorkovski sur X (ex-Twitter).
“Mais dans le monde dans lequel Poutine opère, celui de gangsters, c’est la seule façon de faire les choses. Après tout, qui sait ce qu’il aurait dit au tribunal”…
Samuel Ramani, un expert de l’institut britannique RUSI, rappelle de son côté qu’”Alexandre Litvinenko et Anna Politkovskaïa avaient critiqué la guerre en Tchétchénie au début des années 2000 et avaient été assassinés en 2006″.
Et d’ajouter : “Poutine a l’habitude de la vengeance tardive. La mort de Prigojine est intervenue bien plus tôt que d’habitude”.
D’autres questions restent en suspens, en particulier celles posées par l’ancien ambassadeur américain en Russie Michael McFaul, sur son compte X.
“Pourquoi Poutine a-t-il choisi de tuer Prigojine d’une façon aussi spectaculaire ? (…) Pourquoi a-t-il autorisé Prigojine à assister au sommet de Saint-Pétersbourg” entre la Russie et l’Afrique, en juillet dernier, s’interrogeait-il.
Et enfin, pourquoi les mercenaires de Wagner sont-ils “autorisés à parler de revanche sur les réseaux sociaux maintenant ?”