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Après l’annonce du retrait du Mali du G5-Sahel, Barka Ba apporte des éclairages  sur ce qui se joue réellement dans cette partie de l’Afrique. L’ancien Directeur de l’information de la TFM jette, également, un regard critique sur les juntes au pouvoir en Afrique de l’ouest et livre une analyse approfondie sur la perte de vitesse de la France dans la sous-région. Entretien.

Le Mali a annoncé son retrait du G5 Sahel. Comment interpréter cette décision de la junte au pouvoir ?

C’est une décision qui n’est pas très surprenante au vu de la posture adoptée par la junte malienne après le deuxième coup d’Etat du colonel Assimi Goita qui a renversé le président  de la Transition Bah N’daw et le Premier ministre Moctar Ouane en mai 2021. On observe depuis la nomination du Premier ministre Choguel Maiga, qui a pourtant une trajectoire politique très sinueuse, une exacerbation du sentiment nationaliste et souverainiste. D’une part, cela s’est traduit par un bras de fer avec la Cedeao qui a engagé des sanctions contre la junte, qui demeure intransigeant par rapport à son  propre calendrier pour l’organisation des élections. D’autre part  la rupture est presque  totale avec la France : annonce du départ des troupes françaises de l’Opération Barkhane et de la force européenne « Takuba »,  dénonciation des accords de défense qui lient la France au Mali. Sans compter les restrictions apportées maintenant par la junte pour le déploiement de la Minusma, le force déployée par les Nations unies,  qui a de plus en plus mal  à accéder dans certaines zones. Ce retrait du G5 Sahel, organisation, considérée par beaucoup d’observateurs comme ayant largement échoué sur le terrain, mais qui avait quand même le mérite de vouloir mutualiser les forces dans la lutte contre le djihadisme,  entre  donc en droite ligne de cette posture.

“Le Mali pourrait  mettre en péril tout le dispositif anti-djihadiste dans le  Sahel”
Le Mali justifie cette décision par le fait que les autres membres ont refusé de lui accorder la présidence de cette organisation régionale. Le Mali vit aussi sous les sanctions de la CEDEAO. Cet isolement du Mali accroît-il les menaces qui pèsent sur la sous-région ?

Dans le communiqué qui justifie le retrait du Mali du G5 Sahel, les autorités maliennes ont accusé une « puissance extra- régionale » d’être à la manœuvre. Pas besoin d’être devin pour savoir que là aussi, c’est la France qui est visée. C’est aussi un secret de Polichinelle que la junte malienne entretient des relations exécrables avec l’un des pays membre du G5 Sahel, le Niger. Le Président Bazoum a eu plusieurs fois  à tenir à l’endroit du Mali un discours tenu pour « inamical » par la junte, sur la manière de gérer la crise sécuritaire aux frontières communes des deux pays, sur les relations avec la Cedeao ou même sur le traitement infligé en prison à l’ancien Premier ministre Soumeylou Boubèye Maïga qui lui était très proche. A mon avis, ce qui se joue actuellement dans le Sahel, c’est l’affrontement de deux lignes antagonistes. A rebours de la posture intransigeante du colonel Goita qui  semble opter pour une rupture  presque totale avec la France, on   la « ligne Bazoum » qui consiste pour le Président nigérien à assumer crânement, nonobstant « le sentiment anti-français » en vogue sur le continent, une collaboration avec la France et les Etats-Unis sur le plan sécuritaire dans la lutte contre le djihadisme. Le Niger abrite même une base de drones et de forces spéciales américaines. Le président nigérien, qui est un ancien étudiant gauchiste gréviste de l’université de Dakar, très marqué à gauche dans sa jeunesse, a viré sa cuti et semble s’inscrire dans la realpolitik pure et dure. Ayant occupé les fonctions de ministre de l’Intérieur et de ministre des Affaires étrangères avant son accession au pouvoir, il fait partie, après le décès du Président Déby, de ceux qui comprennent aujourd’hui le mieux le problème djihadiste. Qui l’emportera de la « ligne Bazoum » ou de la « ligne Goita » ? Une bonne partie de ce qui se joue au Sahel tient, à mon avis de cette réponse.

“Même la Mauritanie pourrait revoir sa coopération avec le Mali”

Pour le moment, ce que l’on note, c’est effectivement que la junte malienne semble avoir ouvert beaucoup de fronts à la fois. Même la Mauritanie, pays membre aussi du G5 Sahel dont elle abrite le secrétariat général et qui a montré beaucoup de bienveillance à la junte pour l’aider à faire face aux sanctions de la Cedeao, cela  malgré les allégations d’exactions contre ses ressortissants par des militaires maliens, pourrait revoir sa coopération avec Bamako. Donc non seulement, le Mali s’isole diplomatiquement, militairement et économiquement, chaque jour davantage, mais   pourrait  mettre en péril tout le dispositif anti-djihadiste dans le  Sahel. Il pourrait être le premier pays à en subir les conséquences parce que près de 2/3 de son territoire lui échappe actuellement.

Vous le disiez, tantôt, Assimi Goïta a coupé le cordon ombilical avec la France  qui a décidé de mettre fin à Barkhane et Takuba. Ce désengagement progressif de la France vous inquiète-t-il ?

La  nécessité de la rupture du cordon ombilical avec la France est  très largement partagée sur le continent. C’est un fait incontestable. Cela peut même être un électrochoc pour un nouveau départ pour l’Afrique francophone. Tout le problème est la voie à suivre pour nos pays pour retrouver leur autonomie de décision. C’est possible, sans verser dans un populisme outrancier et dans une démagogie parfois caricaturale. La dégradation de l’image de la France et le fait que le discours français soit largement inaudible, aussi bien chez l’homme de la rue que chez une bonne partie des élites en Afrique, c’est une réalité. Évidemment, ce sentiment « anti-français », qui est de mon point de vue plus exactement un ressentiment,  est relayé et amplifié par des vecteurs puissants et organisés. Mais si ce discours rencontre un aussi large écho, jusqu’à complètement déstabiliser l’ancienne puissance coloniale dans ce qui était considéré jusque-là avec beaucoup de morgue pour son « pré carré », c’est que ce sentiment n’est pas bâti que sur du sable. La France est rattrapée par sa longue pratique de coups tordus et son passé colonial qui draine une longue traînée de poudre et de sang. Entre la France et ses anciennes colonies, on semble assister à un bégaiement de l’histoire.

“Le discours souverainiste et nationaliste qui séduit aujourd’hui une bonne partie de la jeunesse africaine, c’est le discours que tenaient, déjà, au lendemain des indépendances, Mamadou Dia au Sénégal, Modibo Keita au Mali ou Sékou Touré en Guinée…”

Que voulez-vous dire, précisément, par bégaiement de l’histoire ?

Le discours souverainiste et nationaliste qui séduit aujourd’hui une bonne partie de la jeunesse africaine (rupture avec le franc CFA, fermeture des bases militaires françaises,  fin de la mainmise des entreprises françaises sur l’économie, etc.), c’est le discours que tenaient, déjà, au lendemain des indépendances, Mamadou Dia au Sénégal, Modibo Keita au Mali ou Sékou Touré  en Guinée et beaucoup de partis de gauche. La seule nouveauté, c’est l’ampleur de résonnance que ce discours rencontre aujourd’hui par l’effet amplificateur des réseaux sociaux.  Et déjà, à contrario, Léopold Sédar Senghor ou Félix Houphouët Boigny, qui avaient eux choisi de rester dans le giron de la France en préservant l’essentiel de ses intérêts par le canal de la « Françafrique » et des « réseaux Foccart », passaient pour des obligés du Général  de Gaulle et ses successeurs. Mais la figure la plus marquante et la plus charismatique du refus de s’aligner sur la France est celle du capitaine Thomas Sankara qui n’a jamais été aussi populaire. Il est redevenu l’icône de la jeunesse africaine en quête de modèle, la plupart des régimes qui se sont succédé au Mali, au Burkina ou en Guinée ayant montré des limites criantes en termes de gouvernance.

“La grande différence entre Sankara et les jeunes putschistes d’aujourd’hui, outre le fait qu’il avait une solide formation politique marxisante, c‘est qu’il était un moine-soldat de la révolution, vivait en ascète et mettait en adéquation ses idées et sa pratique. Au contraire, les officiers putschistes d’aujourd’hui semblent obnubilés par le pouvoir et le décorum qui va avec”

 En creux, les officiers au pouvoir de ces pays, se réclament peu ou prou de cet héritage. Mais la grande différence entre Sankara et les jeunes putschistes d’aujourd’hui, outre le fait qu’il avait une solide formation politique marxisante, c‘est qu’il était un moine-soldat de la révolution, vivait en ascète et mettait en adéquation ses idées et sa pratique. Au contraire, les officiers putschistes d’aujourd’hui semblent obnubilés par le pouvoir et le décorum qui va avec. Pire, très  rapidement ils peuvent être tentés par la prédation et le business d’Etat. Ce qui peut les pousser à vouloir s’accrocher au pouvoir coûte que coûte et complique leur retour dans les casernes. Sans compter qu’ayant presque « plafonné » en prenant le pouvoir parfois à moins de 40 ans et ayant brisé la chaîne de commandement de l’armée par coup d’Etat, ils se retrouvent eux-mêmes paradoxalement en insécurité pour la suite de leur carrière. Un engrenage qui leur offre difficilement des portes de sortie honorable. De ce point de vue, sauf dans de très rares cas, les coups d’Etat, ajoutent de la crise à la crise et sont de mauvaises réponses à de bonnes questions sur la gouvernance erratique de certains chefs d’Etat en Afrique.  

Le Mali semble compter sur Wagner et son nouvel allié russe. Cette stratégie peut-elle être payante ?

C’est une stratégie à double tranchant. Il est compréhensible que le Mali cherche à diversifier sa coopération. L’Union soviétique, dont la Russie de Poutine se veut l’héritière, était un partenaire de taille du Mali au lendemain des indépendances et a formé une bonne partie de l’élite malienne. Seulement, les autorités au pouvoir actuellement à Bamako n’ont jamais voulu assumer clairement le fait de recourir aux mercenaires de Wagner,  préférant parler, contre toute évidence, d’ «instructeurs », tant ce groupe traîne une réputation sulfureuse, surtout en Centrafrique où il a été accusé de nombreuses exactions sur les populations civiles. Au Mali aussi, à peine déployé sur le terrain, ce groupe a été accusé des pires exactions  sur des djihadistes et des populations civiles dans le village de Mourra. Le paradoxe, c’est qu’au moment où le junte fait appel à Wagner pour lui sous-traiter une partie de la conduite des opérations militaires, elle néglige des pistes de sortie de crise endogènes. Aujourd’hui, nul n’est mieux placé que Ali Nouhoum Diallo, nationaliste ombrageux et intègre, ancien Président de l’Assemblée nationale et l’un des patriarches les plus respectés de la communauté peule, pour négocier une trêve  dans le Macina avec  le chef djihadiste Amadou Koufa. De plus, en misant un peu trop sur Moscou, la junte malienne ne semble pas avoir eu la main très heureuse au vu de la tournure que prend la guerre déclenchée par Vladimir Poutine en Ukraine. L’issue incertaine de ce conflit et les difficultés que semblent rencontrer l’armée russe  sur le terrain, peuvent reléguer l’agenda malien de Poutine au second plan.

“La tentative de coup d’État prouve que la ligne jusqu’au-boutiste adoptée par le colonel Goïta ne fait plus l’unanimité”

De toute façon, aussi bien les Français, Américains, les Russes, les Turcs, les Chinois comme les Qataris, ne viennent pas sur le continent en villégiature. Toutes ces puissances sont dans un jeu d’influence dont l’Afrique est le nouvel échiquier. Et les derniers rebondissements de l’actualité au Mali, avec l’annonce d’une tentative de coup d’Etat déjouée, n’augure rien de bon. Que cette tentative de putsch soit réelle ou soit un coup monté, prouve que la ligne jusqu’au-boutiste adoptée par le colonel Goïta ne fait plus l’unanimité. Il est à craindre que la junte malienne dérape dans des règlements de comptes sanglants, comme ce fut le cas sous le règne du capitaine Sanogo où des « Bérets rouges » accusés d’avoir voulu fomenter un « contre-coup d’Etat » ont été assassinés.

“Dans tout le Sahel, le dialogue avec les djihadistes  ne doit plus être un tabou car l’option du tout-sécuritaire a montré depuis longtemps ses limites”

Le régime militaire en place au Burkina semble s’inspirer du Mali. Paul-Henri Sandaogo Damiba et plusieurs de ses collaborateurs ont discuté coopération militaire avec Assimi Goïta. Le Colonel Damiba s’est par ailleurs dit ouvert au dialogue avec les terroristes. Comment appréciez-vous la stratégie de ce pays depuis l’arrivée au pouvoir des militaires ?

Le Burkina Faso est un cas d’école très intéressant. Tout autant que le Mali, rarement un putsch n’a été aussi prévisible, vu l’extrême dégradation de la situation sécuritaire. Tout comme Ibrahim Boubacar Keita avec lequel il partage de nombreuses similitudes dans son parcours, Roch Marc Christian Kaboré semblait être totalement dépassé par la violence djihadiste et à court de solutions. Le lieutenant-colonel Damiba a justifié son putsch dans une large mesure par l’incapacité du régime précédent à faire face au péril djihadiste. Mais depuis son arrivée au pouvoir, peu de choses ont changé sur le terrain, malgré les effets d’annonce. On décompte même un bilan d’une centaine de morts depuis sa prise du pouvoir. Au  Burkina Faso comme au Mali, de très grands pans du territoire échappent au contrôle de l’Etat . Le lieutenant-colonel Damiba a écrit un livre où il préconisait des pistes pour venir à bout du djihadisme mais il semble peiner à mettre cela en œuvre. Il est heureux qu’il tente de nouer le dialogue avec les insurgés  par le biais des « communautés locales » car il n’y a pas d’autres solutions. Dans tout le Sahel, ce dialogue ne doit plus être un tabou car l’option du tout-sécuritaire a montré depuis longtemps ses limites et l’hybridation du djihadisme au Sahel avec les conflits communautaires et le grand banditisme, les exactions des forces de sécurité  et les milices supplétives dites d’ « auto-défense » contre les populations civiles accusées de collaborer avec les insurgés, rend le phénomène chaque jour plus complexe. Même quand des chefs djihadistes sont régulièrement éliminés, comme une hydre, le djihadisme renaît toujours avec d’autres têtes et ne cesse de gagner du terrain. Ce péril s’étend même maintenant aux pays du Golfe de Guinée. Pendant longtemps, sous Blaise Compaoré, le Burkina a été le laboratoire d’une diplomatie souterraine, voire secrète, aux ramifications très complexes. Une sorte de  division du travail avec comme chefs d’orchestre les anciens piliers du régime  comme  Djibrill Bassolé pour le volet diplomatique, le général Gilbert Diendéré pour l’aspect sécuritaire et son ancien conseiller spécial, le Mauritanien Limam Moustapha Chafi, qui est sans doute l’une des personnes les plus réseautées de la sous-région, pour les négociations secrètes dans les prises d’otage. Ce réseau d’hommes de l’ombre aguerris qui connaissent les réalités complexes du Sahel mieux que tous les diplomates du Quai d’Orsay réunis, a fait défaut au président Kaboré et il n’est pas sûr aussi que le lieutenant-colonel Damiba puisse s’appuyer sur cette expertise.

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