Plus d’une centaine d’hommes et de femmes (beaucoup plus d’hommes que de femmes) du Sénégal et d’ailleurs ont signé une pétition relative, disent-ils, à la démocratie et à l’Etat de droit. Ces sujets leur ont, en réalité, servi de prétexte pour appeler à la libération d’un homme politique au mépris des principes de ce même Etat de droit.
Il faut certes dire que, par leur démarche, ils s’inscrivent dans la longue tradition du débat d’idées consubstantiel à notre démocratie, s’éloignant ainsi, au moins momentanément, de l’apologie de la violence et de l’introduction de termes inappropriés tels que le vulgaire « Gatsa Gatsa » dans le débat public.
En revanche, voir des intellectuels et professionnels du droit, pour la majorité des signataires, fouler aux pieds le principe de la séparation des pouvoirs nous interpelle. En effet, appeler le Président de la République, par l’intermédiaire du Garde des Sceaux, à demander au parquet de libérer un détenu inculpé par un juge d’instruction relève soit d’une méconnaissance du fonctionnement de la justice – offense que nous ne leur ferons pas – soit d’une tentative d’entretenir un amalgame à dessein.
Il est vrai que nous avions l’habitude des amalgames et manipulations d’un groupe de politiciens signataires et de leurs alliés attitrés membres de la société civile. Cette fois, ils ont pu compter sur le renfort d’autres personnalités ainsi entrainées dans une démarche politicienne dont cette pétition n’est qu’un énième reflet.
Lorsqu’on lit la pétition, on a envie de demander aux signataires où ils étaient quand le prisonnier dont ils appellent à la libération, au mépris du droit, disaient à des jeunes « d’en finir avec Macky Sall » et de le traiter « comme Samuel Doe » (ancien président libérien trainé par des putschistes dans la rue jusque sur une place publique, torturé et découpé en morceaux) en précisant que les jeunes sont bien entrainés et, dotés d’armes, chacun d’entre eux pourra mener à bien ce projet ?
Où se situait leur indignation à géométrie variable lorsqu’il demandait encore à ses partisans de donner leur vie face aux forces de l’ordre dans ce qu’il appelle un Jihad ? Quand il appelait l’armée à « prendre ses responsabilités », appel que son ex-parti réitèrera dans un communiqué daté du 1er juin 2023 exhortant au coup d’Etat ?
Que doit-on comprendre lorsque ces signataires qui se présentent comme des humanistes passent sous silence l’attentat sur un bus ayant causé la mort d’une jeune femme de vingt et un ans et d’une jeune fille de sept ans, à la suite des appels à l’insurrection du justiciable qui bénéficie de leurs signatures ? Lorsqu’ils restent muets sur les appels répétés au coup d’Etat et aux mouvements insurrectionnels rendus publics par le parti dont ils contestent la dissolution alors que ces actes ont constitué un manquement aux obligations des partis politiques figurant à l’article 4 de notre Constitution et à l’article 4 de la loi n°81-17 du 06 mai 1981 modifiée par la loi n° 89-36 du 12 octobre 1989 ?
Que dire quand des professeurs d’université détournent leurs regards face aux incendies de facultés et de bibliothèques universitaires ? Quand des journalistes ne versent la moindre petite larme à propos du saccage du CESTI qui forme les femmes et hommes de médias de ce pays ? Quand les chevaliers autoproclamés de la démocratie bénissent des pillages de commerces et de banques, des attaques sur des infrastructures névralgiques telles que des transports, des centrales électriques, des installations de distribution d’eau dans le but de paralyser l’activité économique du pays et installer le chaos ?
Si, comme ils l’écrivent, ils sont soucieux de l’Etat de droit, attachés à la paix, à la stabilité, à l’unité, à la concorde nationale, à la préservation des acquis démocratiques et au respect de la Constitution, ces signataires devraient se féliciter que les refus de répondre aux magistrats, les tentatives d’installer un climat de terreur pour ne pas répondre à la justice ainsi que tous les actes défiance, d’insurrection et de sédition n’aient pas prospéré.
Reprenant leurs esprits, ceux parmi les pétitionnaires qui sont de bonne foi doivent aussi se réjouir que la séparation des pouvoirs – leur pétition appelle à la violer – reste un principe intangible de notre République.
Abdou Karim Fofana
Ministre du Commerce, de la Consommation et des PME, porte-parole du Gouvernement.