Le football africain se met au vert-jaune-rouge avec l’accumulation d’étoiles dans les différentes sélections pour les Lions de la Teranga. Les équipes de jeunes suivent les traces de leurs glorieux aînés, les champions en titre de la Coupe d’Afrique des Nations (CAN) de 2021 au Cameroun. Que ce soit dans les catégories U17, U20 ou le CHAN, le Sénégal impose sa suprématie sur le plan continental et dévoile son incroyable vivier de jeunes talents. Ces victoires à répétition chez les lionceaux sont-elles un présage d’un avenir radieux pour l’équipe A ? Du lionceau au lion, le chemin peut être long et incertain.
Une interrogation qui s’impose tant le continent a connu, par le passé, de jeunes générations talentueuses qui n’ont pas répondu aux attentes placées en elles. À titre d’illustration, on peut parler des petites catégories du Mali qui ont fait forte impression lors des années précédentes. La période que l’on pourrait qualifier d’ »âge d’or » chez les Aiglons s’étend de 2015 à 2019. Durant la première année citée, les Maliens ont remporté la Coupe d’Afrique des Nations des moins de 17 ans et ont terminé deuxièmes à la Coupe du Monde de la même catégorie organisée la même année. Chez les moins de 20 ans également, les choses se sont bien déroulées. Quatrièmes de la CAN en 2015, les Maliens ont terminé à la troisième place du Mondial qui s’est joué la même année. Deux ans plus tard, en 2017, les U17 du Mali ont réussi le doublé au Gabon en remportant à nouveau la CAN. Mais malgré ce riche potentiel et ces années de domination, la nation n’a pas réussi à se hisser parmi les meilleures équipes nationales sur le plan du football en équipe A. Aujourd’hui, c’est au tour du Sénégal de briller avec sa jeune génération. La première compétition à avoir ouvert la voie est le Championnat d’Afrique des Nations qui s’est tenu en janvier 2023 en Algérie. Bien que cette compétition ne concerne que les joueurs locaux et qu’il n’y ait pas de limite d’âge imposée, l’entraîneur Pape Thiaw a décidé de miser sur la jeunesse en convoquant un groupe relativement jeune, avec une moyenne d’âge variant entre 20 et 21 ans. Les amateurs se souviennent encore des belles performances du jeune Lamine Camara. Ce dernier a été sollicité quelques semaines plus tard pour la CAN des U20 avec le Sénégal, une compétition qu’il a remportée et dans laquelle il a été désigné meilleur joueur. Pour compléter le tableau, la sélection cadette du Sénégal a enrichi l’armoire à trophées du pays en remportant la CAN de sa catégorie face au Maroc. La seule note négative dans cette dynamique positive est la non-qualification des moins de 23 ans à la Coupe d’Afrique qui devait avoir lieu en 2023 et qui était qualificative pour les Jeux Olympiques de Paris 2024.
“80 % d’entre eux disparaissent dans les petites catégories”
Si l’équation était aussi simple, les contre-exemples évoqués précédemment ne devraient pas être aussi nombreux. Le manager FIFA, Cheikh Oumar Aidara, fait partie de ceux-là qui tempèrent en évoquant, dans un premier temps, la différence de niveau chez les jeunes. « Les équipes de jeunes participent à des compétitions certes difficiles, mais avec moins d’exigences. C’est plus ou moins une vitrine pour se faire remarquer. Malheureusement, 80 % d’entre eux disparaissent dans les petites catégories. C’est la raison pour laquelle de nombreuses équipes africaines tombent dans le piège : elles voient des jeunes brillants en équipe de jeunes et en font des joueurs d’avenir, tout en les laissant brûler les étapes. Ces joueurs finissent souvent par disparaître », explique-t-il. L’autre facteur mis en évidence par celui qui est également consultant sportif, très souvent présent sur les plateaux de la RTS, concerne l’état d’esprit des jeunes athlètes après leur surexposition médiatique suite à leurs performances. Il ajoute : « En réalité, beaucoup de jeunes, après avoir brillé dans une compétition, perdent le contrôle de la situation et se considèrent comme de grandes stars, ce qui freine souvent leur carrière. Si l’on ajoute à cela l’implication de la famille et l’arrivée d’agents de partout, et si le jeune n’est pas équilibré, il fait de mauvais choix et compromet sa carrière ».
La génération de Sadio Mané et compagnie a succédé avec succès à celle emmenée par El Hadji Diouf après une période sombre d’alternance. Selon Talla Fall, directeur de la communication et du marketing à Génération Foot, ce processus est inévitable, d’autant plus que la génération actuelle en équipe nationale A est sur le déclin et que la relève possède les qualités requises pour intégrer la sélection. « Avec tout ce potentiel, on ne peut pas ne pas aspirer à jouer en sélection A. Nous sommes obligés de renouveler l’effectif de notre équipe nationale. C’est ce que le football exige aujourd’hui. Certains joueurs des U20 ont connu une progression si fulgurante qu’il serait injuste de les écarter sous prétexte que nous avons des titulaires à leur poste », pense-t-il.
Pépinières de talent
Il est souvent reproché au sélectionneur national Aliou Cissé de ne pas accorder suffisamment de confiance aux joueurs locaux. Sachant que la majorité des joueurs des petites catégories des équipes nationales du Sénégal proviennent des centres de formation, ce constat peu encourageant concernant l’entraîneur national ne semble pas favoriser la dynamique actuelle des équipes nationales. À cet égard, Papa Dibor Leye, entraîneur de football, estime qu’un changement de paradigme est nécessaire en ce qui concerne la promotion des jeunes joueurs. « Il a la possibilité d’emmener dans chaque sélection le meilleur gardien, le meilleur buteur, et pourquoi pas le meilleur défenseur. Cela va certainement favoriser la progression des joueurs locaux qui seront motivés et se diront qu’il n’est pas nécessaire de partir à l’étranger pour jouer en équipe nationale A », exprime-t-il. Il poursuit : « Alors, pourquoi ne pas donner cette chance à nos joueurs, à l’équipe nationale locale, et pourquoi pas aussi à nos U17. Au Sénégal, il est rare de voir un U17 ou un U20 intégrer directement l’équipe nationale A. C’est un gros problème. Maintenant, c’est à Aliou Cissé de prendre ses responsabilités et de dire qu’avec l’équipe nationale A, il faut donner sa chance aux joueurs locaux du moment ».
Cette période faste du Sénégal dans les différentes catégories est en grande partie due aux centres de formation, qui sont estimés à 1200 dans tout le pays. Membre fondateur de Génération Foot, Talla Fall estime qu’il faut rendre hommage à ceux qui ont eu le courage de créer ces centres de formation en pensant que cela ne pouvait que fonctionner. Ensuite, lorsque la fédération prend conscience de ses ressources, elle doit mettre en place les moyens nécessaires pour maintenir ce développement. Selon lui, ce sont ces pépinières de talents qui permettent à la fédération de football d’avoir l’embarras du choix et de mieux préparer les petites catégories. Il convient de noter que des regroupements réguliers sont effectués chez les jeunes dans le but de créer l’alchimie qui porte actuellement ses fruits.
Optimiser la transition vers l’équipe nationale A en harmonisant les schémas de jeu ?
A l’image d’un pays comme l’Espagne qui privilégie un jeu de possession basé sur des passes (de préférence courtes) ou de l’Allemagne qui affectionne le jeu direct et rythmé, ces caractéristiques propres à ces grandes nations du football ont la particularité d’être inculquées très tôt à leurs jeunes. Ces derniers sont littéralement imprégnés du système de jeu propre à leur pays. Une approche que le Sénégal ne semble pas adopter, tant les divergences dans le jeu se font sentir d’une sélection à l’autre. Pour Papa Dibor Leye, il est impératif que les équipes nationales travaillent de manière synchronisée : « Il faut que le directeur technique et les entraîneurs nationaux puissent travailler selon une dynamique et une manière de jouer commune. En petite catégorie, quand tu les vois jouer, c’est la même façon de jouer, mais cela diffère radicalement de ce que notre cher entraîneur national fait ». Un constat qui n’est pas forcément partagé par Cheikh Oumar Aidara, qui pense plutôt qu’il s’agit d’un problème d’animation de jeu : « La seule chose à revoir, peut-être, c’est d’apporter un peu plus de rythme, et c’est là le mal du football africain en général. En Coupe du Monde, par exemple, nos équipes manquent de vitesse et de vision rapide du jeu. On sort lentement, on se replace lentement, ce qui explique souvent certaines défaites de nos équipes en Coupe du Monde ». Pour d’autres, il n’y a pas de meilleur système de jeu que l’adaptation. C’est un avis partagé par Mbaye Sène, également connu sous le nom de « l’international ». L’administrateur du site sportinter.net insiste sur les qualités qui doivent façonner l’équipe nationale : « Pour moi, il faut s’adapter à ses capacités. C’est ce qui te donnera le maximum de satisfaction. Le style de jeu, c’est la rage, la détermination, l’abnégation et, pour conclure, le « djom ». Autant de qualités qui ont porté leurs fruits lors de l’épopée victorieuse du Sénégal lors de la Coupe d’Afrique des Nations au Cameroun.
De jeune talent à espoir confirmé : La recette des spécialistes
Nombreuses sont les pépites qui n’ont pas eu la carrière qu’on attendait d’elles. Selon Talla Fall, les ingrédients nécessaires pour la réussite professionnelle d’un jeune joueur relèvent tant de l’ordre interne qu’externe. Pour lui, l’athlète doit faire preuve d’une abnégation sans faille, avoir la ferme volonté de réussir et surtout avoir le sens de l’écoute. D’autre part, le joueur doit s’entourer d’un environnement qui va l’aider dans son processus de développement. Et l’exemple le plus parlant issu de leur académie se nomme Sadio Mané. « Il ne s’est pas contenté seulement de ses qualités, il a travaillé régulièrement, répétant les mêmes gestes matin-midi-soir, ayant une bonne hygiène de vie et étant rigoureux dans ce qu’il fait », raconte Talla Fall.
Toujours concernant le double meilleur joueur africain, Talla Fall revient sur une anecdote mettant en avant l’importance de l’entourage, notamment en ce qui concerne la motivation. “Quand le président (Génération Foot) Mady Touré lui disait à l’époque : « Sadio, tu peux rivaliser avec Neymar, Messi… ils ne sont pas plus forts que toi. Je sais que tu as des aptitudes et des qualités qui peuvent te permettre de rivaliser avec ces garçons-là », se remémore-t-il.
Mais l’élément indispensable pour le membre fondateur de Génération Foot reste une faculté et pas des moindres : l’humilité. « Au-delà de tout ça, si tu n’es pas humble et que tu n’es pas conscient de tes qualités, et que seul le travail paie, tu ne vas pas progresser. Quelqu’un qui écoute, qui fait son autocritique dans la vie, ne peut que performer », dit l’ancien footballeur et consultant sportif à la TFM.
“Pour réussir, il faut faire beaucoup de sacrifices et te priver de nombreux plaisirs”, lance le coach Papa Dibor Leye. Il poursuit : “Chose que ne font pas souvent les jeunes qui ont du talent. Le talent seul ne suffit pas, cela demande beaucoup de travail, notamment sur les plans physique, technique et tactique. Et pour cela, il faut accepter de se soumettre à quelqu’un. C’est à cette personne de te diriger et de te mettre sur le bon chemin, et cela permettra de réussir dans le football d’aujourd’hui”.
Le technicien tient tout de même à préciser que même en réunissant tous ces critères, la réussite n’est pas forcément assurée. Comme quoi, pour briller au milieu des astres, il faudrait être né sous une bonne étoile.