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Un de ses professeurs avait parié, il y a 40 ans, qu’il ne serait jamais un «grand journaliste». L’histoire lui donna raison : «Abdou Sow» ne fut pas un grand journaliste, mais un «TRÈS GRAND» journaliste.

Mame Less Camara est décédé samedi 29 avril. Il repose au cimetière de Yoff. Il a rejoint au Ciel d’autres illustres figures de la presse sénégalaise parties avant lui : Babacar Touré, Sidy Lamine Niass, Bara Diouf, Momar Seyni Ndiaye, Jean Meïssa Diop…

Il avait 66 ans. Les hommages du monde des médias et ceux venus d’ailleurs ont mis en relief le parcours d’un homme à la «culture encyclopédique», «intellectuellement solide», et, surtout, un «journaliste intégral». À cheval sur l’éthique et la déontologie de son métier et à l’aise dans tous les genres journalistiques. À la radio, à la télé et en presse. Un grand pédagogue qui a enseigné le journalisme comme il l’a pratiqué. Avec savoir-faire, rigueur et panache. Un syndicaliste (il fut secrétaire général du SYNPICS) «intransigeant et flexible».

Comme pour couronner les témoignages sur la vie et l’œuvre de celui qui s’appelait à l’état civil Mame Alioune Less Camara, le Président Macky Sall a donné son nom au Centre d’études des sciences et techniques de l’information et de la communication (CESTI). En prenant cette décision, le chef de l’État, adresse, involontairement sans doute, un cinglant démenti à un ancien formateur de Mame Less Camara au CESTI.

La sentence

C’est Babacar Khalifa Ndiaye (BKN) qui vend la mèche. Camarade de promotion (la 11e) de «Less», comme il l’appelait, l’ancien chef du service des Sports du Soleil révèle qu’un de leurs professeurs à l’école de journalisme avait prononcé contre eux, il y a un peu plus de 40 ans, une violente sentence. «‘Vous ne serez jamais de grands journalistes’, se plaisait-il à nous lancer à chaque occasion», rapporte BKN dans un texte-hommage publié dans le journal où il a effectué sa carrière.

Le journaliste en retraite d’ajouter : «Tout ce que ce monsieur a finalement réussi, c’était de faire dévier ‘Less’ de son option presque naturelle qu’était la presse écrite pour choisir la radio, car ne souhaitant pas croiser ce censeur au moment de la Grande enquête.»

Ce fut un mal pour un bien. En témoigne cette antiphrase de BKN qui aurait sûrement arracher au défunt un de ses sourires discrets mais lumineux : «Bravo donc à ce prof puisque, sans le vouloir aucunement, il a rendu à la corporation un immense service. Tout simplement parce que ‘Less’ était devenu un TRÈS GRAND journaliste. Aussi bien à l’aise devant le micro qu’avec la plume. Un journaliste intégral (et intègre), total !»

Radio Sénégal, Le Matin, Walf FM, Envi FM, Océan FM, DTV, BBC, FEM FM, TFM… : Mame Less Camara aura marqué par son talent, son intégrité, sa générosité et sa classe ceux qui, dans l’univers des médias, ont croisé la route du reporter, du chroniqueur, du manager ou du consultant qu’il fut tour à tour. Les générations de journalistes qu’il a formés au CESTI ou dans d’autres sphères, peuvent en dire autant.

«Abdou Sow»

Autre cinglant démenti à son ancien formateur, l’histoire de son rendez-vous dans les colonnes de Wal fadjri : la «Chronique de Abdou Sow». «C’était du plaisir de lire Less», s’est incliné le journaliste Ibrahima Bakhoum en relisant dans sa tête la chronique en question dans Enquête. Mais le témoignage de Tidiane Kassé est encore plus édifiant. Il était à l’époque le directeur de publication de Wal fadjri.

La collaboration entre Mame Less Camara et le journal fondé par le défunt Sidy Lamine Niass a pris racine en février 1986. Elle est née d’abord d’une volonté du premier de rendre hommage à Cheikh Anta Diop, qui venait de mourir. «Le papier de Less fit la Une de Walf», se souvient Kassé dans «Ainsi fut Abdou Sow», l’article qu’il lui a consacré dans l’édition de ce mardi de Walf Quotidien.

Quelques jours plus tard Mame Less Camara remet le couvert «avec un texte sur la célébration du 4-Avril». Tidiane Kassé rembobine : «Le papier fit encore la Une du journal et on se mit d’accord sur une chronique pour Walf. C’est-à-dire un papier à chaque parution. Le journal était alors bimensuel, paraissant tous les deux vendredis. Ainsi naquit la ‘Chronique d’Abdou Sow’.»

Au départ, rapporte l’ancien dirpub de Walf, les militants de la primeur du fait sur l’opinion au niveau de la rédaction ne voyaient pas d’un bon œil que le papier de «Abdou Sow» barre la Une de leur journal. Mais la qualité de l’article («toujours beau», «bien ciselé», «d’une réflexion aérienne»…) fera rentrer tout le monde dans le rang. Tidiane Kassé encore : «Sa pertinence était toujours d’une dimension telle qu’elle donnait une lecture plus profonde d’une actualité sur laquelle il plongeait son projecteur. Acide ou bien distant, mais toujours pertinent. Elle devint un argument de vente.»

À travers «Abdou Sow», «Mame Less» savait, se rappelle Kassé, «donner à un fait simple sa réelle dimension politique dans le Sénégal des années 80, à l’époque marqué par la crise et l’ajustement structurel de la Banque mondiale et du FMI. Déchiré par les querelles politiques avec un pluralisme démocratique naissant, une gauche revendicative et ardente, face à une tendance à l’immobilisme du pouvoir».

Le secret

L’identité de l’auteur de la fameuse chronique était l’un des secrets les mieux gardés de la République. «Abdou Sow était devenu l’inconnu le plus recherché du Sénégal. Jusqu’au plus haut niveau, s’amuse l’ancien directeur de Walf. Sidy Lamine me confia ainsi, au sortir d’une audience avec Abdou Diouf (président de la République, 1980-2000, Ndlr), que sa discussion avait tourné, en partie, autour du fait de savoir ‘qui était Abdou Sow. Diouf avait sans doute la réponse, mais il voulait me l’entendre dire’».

Tidiane Kassé toujours : «Je me rappelle à ce propos, d’ailleurs, une visite de Bara Diouf (défunt PDG du Soleil, Ndlr) à Walf en 1989 en compagnie de Sambou Cissé, journaliste au Soleil. D’un jet Bara attaqua avant de partir : ‘Je suis venu pour autre chose (il voulait que je l’aide à la mise en page de ses Mémoires) ; je veux savoir qui est Abdou Sow…’ Il ne saura pas, non plus (c’était un principe pour nous) et la semaine suivante Less fit encore honneur à son rendez-vous hebdomadaire.»

Clédor Sène ne boudait pas son plaisir. Après avoir refusé un entretien au directeur de Walf, l’un des assassins de Me Babacar Sèye lui fit part de son souhait de rencontrer le fameux chroniqueur. Kassé rapporte ses propos : «L’affaire Sèye je n’en parle pas. Cependant, il y a une personne à laquelle je parlerai, c’est Abdou Sow… J’aimerais discuter avec lui… Ses chroniques ont été un plaisir pour moi, une source de maturation qui a aidé à façonner notre révolte.»

Mis au parfum de la demande de Clédor Sène, l’intéressé eut ces mots, selon l’ancien patron de Walf : «Hé bien… si mes écrits ont contribué à façonner l’assassin d’un juge, ce serait la plus inattendue des conséquences…»

Mame Less Camara c’était aussi ce sens de la formule. Une «répartie terrible» (Diatou Cissé, journaliste). La marque d’un grand journaliste.

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